Carte Vitale biométrique : et si c'était une bonne idée ?

Le lancement du programme de carte Vitale biométrique a été voté par le Sénat le 3 août 2022, une première enveloppe de 20 millions d’euros de crédits y sera ainsi alloué dans le cadre du projet de budget rectificatif pour 2022 (PLFR) pour réaliser des études.

La carte Vitale à puce, lancée à la fin des années 1990, a démontré sa résistance aux attaques depuis 20 ans. Renforcer la sécurité de ce dispositif qui permet la prise en charge de dépenses de santé est une démarche intelligente par nature. Avec la biométrie, nous serons en mesure d'établir un lien infalsifiable entre une carte et son détenteur grâce à une puce électronique intégrant les données des utilisateurs comme ses empreintes digitales.

En effet, lors du démarrage de la télétransmission SESAM-Vitale (1998), le recours au code PIN n’a pas été retenu pour la facturation des prestations médicales ou lors de la délivrance de médicaments, pour des questions de facilité d’usage des assurés. Alors qu’un code peut être oublié ou partagé avec d’autres personnes, la biométrie ne fonctionne que pour une personne unique.

D’après un communiqué de presse de L’Alliance pour la Confiance Numérique (ACN) « Il est indispensable que la biométrie puisse poursuivre son développement autour d’enjeux aussi majeurs que la sécurité des biens et des personnes et la protection des informations, dont la divulgation, le détournement ou la destruction porterait un préjudice certain et grave.

Dans les faits, les techniques biométriques peuvent remplir deux fonctions distinctes :

  • L'authentification tout d'abord, qui consiste à vérifier qu'une personne est bien celle qu'elle prétend être.
  • L'identification ensuite, qui vise à retrouver une donnée biométrique parmi celles extraites de plusieurs personnes au sein d'une base de données. Le système restitue alors un ensemble de correspondances candidates.

Le dispositif biométrique de la carte Vitale s’inscrit dans la continuité des mesures de l’Etat dans le renforcement des titres et des cartes délivrées aux citoyens

Un tel dispositif existe déjà sur les passeports et permet de renforcer la lutte contre la fraude documentaire et l’usurpation d’identité, en vérifiant la cohérence des données figurant sur le titre et celles figurant sur la puce. L'ancien directeur de l'Agence Nationale des Titres Sécurisés indiquait, lors d'une audition au Sénat le 9 mars 2011, que la fraude au passeport a ainsi diminué de deux tiers avec le passage au passeport biométrique.

La nouvelle carte d'identité française embarque désormais des caractéristiques biométriques de son détenteur, sur le modèle du passeport.

De son côté, la carte Vitale, qui n'est pas un titre d'identité (au sens régalien du terme), porte la photo de son porteur sur le support physique. Décidé par l'ancien ministre de la santé Philippe Douste-Blazy, la photo imprimée sur la carte Vitale (dite Vitale 2) visait justement à réduire la fraude à la carte Vitale (en permettant de vérifier que la photo correspondait au détenteur). Dans les faits, il est probable que ce dispositif ait atteint une partie de ses objectifs, sans qu'il n'existe, à notre connaissance, d'évaluation précise de l'efficacité de cette mesure.

Nous pensons que, pour le volet de la médecine libérale, la biométrie peut apporter un bénéfice dans certaines situations précises : Les cas d’usages de cette technique dans le domaine de la santé pourraient permettre l'identification forte voir l'authentification du porteur pour accéder à certains droits, par exemple pour retirer des médicaments (produits hypnotiques, anxiolytiques, analgésiques opioïdes…) dont le contrôle serait renforcé.

Mais l'essentiel est ailleurs et il est étonnant de noter toutes les réactions mitigées en provenance de la médecine libérale sur la carte Vitale biométrique face à l'absence totale de réaction du côté des hôpitaux !

Le nouveau dispositif porté par le sénateur des Deux-Sèvres Philippe Mouiller (LR) est considéré comme étant "la solution miracle de lutte contre la fraude sociale".

Les professionnels de santé libéraux quant à eux doutent de la pertinence d'une carte Vitale biométrique pour faire baisser la fraude. Le Président de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO), Pierre-Olivier Variot « ne voit pas non plus l'intérêt » de mettre en place une carte Vitale biométrique pour l'instant. Autre souci qui se profile, comment feraient les personnes âgées dépendantes et les résidents d'Ehpad qui ont besoin qu'un proche se rende pour eux à la pharmacie.  « Avec une carte Vitale biométrique, cela deviendrait impossible », redoute le président de l'USPO. Pour lui, la bonne réponse est plutôt à chercher du côté de la e-carte Vitale, déployée cette année dans 8 départements et dont la généralisation est espérée en 2023. « J'espère que cette question de la carte Vitale biométrique ne va pas venir parasiter la mise en place de la e-carte Vitale », appelle de ses vœux Pierre-Olivier Variot.

Il faut savoir que, dans le cas de la médecine libérale, la carte Vitale agit comme un moyen d'automatiser le traitement administratif de la prise en charge des soins par, respectivement, l'Assurance Maladie, les complémentaires santé, et le patient lui-même. Alors que dans le cas de la médecine hospitalière, la carte Vitale est utilisée comme support d'identification du patient : C'est probablement dans ce secteur des soins que la biométrie, utilisée intelligemment, apporterait de vrais bénéfices, en permettant une identification certaine du patient.

La carte Vitale biométrique à l'hôpital permettrait certainement de mieux répartir la charge des soins (avec une répartition correspondant à la réalité).

Si la mission de l'hôpital est de soigner les personnes qui en ont besoin, l'utilisation abusive de cartes Vitale empêche la bonne répartition des charges de santé entre l'Assurance Maladie, les complémentaires santé et le patient. Bien identifier le patient à l'hôpital permettrait certainement d'éviter que certaines charges soient indûment supportées par le régime général de l'Assurance Maladie. On doit toutefois se demander si cela changerait quelque chose sur le plan économique : en arriverait-on à ne plus soigner des personnes qui en ont besoin ?